Culte du dimanche 31 octobre 2021
Prédication par le pasteur David Veldhuizen
Texte biblique: Marc 12,28-34
Chers amis,
Quand il vous arrive de perdre quelque chose, je suppose que comme moi, vous pouvez vous irriter du temps que vous devez passer à chercher, avant de mettre la main sur l’objet en question. Ce temps, il semble perdu, il aurait pu être consacré à une autre activité plus agréable ou plus importante. De même, en voyage ou lors d’un déplacement pour atteindre un endroit pour la première fois, il arrive qu’on ne trouve pas tout de suite le bon chemin, le bon itinéraire ; il arrive même que l’on ne sache plus où l’on se trouve, ou dans quelle direction aller. Nous disons alors que nous sommes perdus. En fait, l’intervalle de temps entre le moment où nous constatons notre égarement et le moment où nous retrouvons notre route, ou mieux encore le moment où nous arrivons à destination, cet intervalle est rapidement habité par toute une palette d’émotions, souvent désagréables. Nous regrettons peut-être de ne pas avoir pris davantage de précautions en amont, mais surtout monte l’angoisse de ne plus avoir de repères, de risquer de perdre encore plus de temps, de prendre encore plus de retard, de ne pas être présent auprès de celles et ceux qui peuvent nous attendre. Oui, un temps de recherche n’est pas toujours facile à vivre.
Mais dans certaines circonstances, c’est la recherche qui est importante, c’est ce qui compte, car dans cette quête, des découvertes vont être effectuées, des capacités vont être entraînées, des compétences vont être acquises. Dans le domaine spirituel, dans le domaine de la foi, il est même préférable d’être sur le chemin que d’être arrivé, car celui qui est arrivé, ou plutôt celui qui croit être parvenu à destination, s’enferme en fait dans ses certitudes ; il se coupe de Dieu, il se coupe des autres, comme tous les fanatismes religieux. Au contraire, vivre avec des questions de foi ouvertes, des questions non résolues, vivre en faisant dialoguer son expérience, son espérance et ce qui survient de façon imprévue, vivre conscient d’être engagé et accompagné sur un chemin qui se dévoile pas à pas, oui, tout cela peut produire du bonheur. En ce dimanche où nous sommes invités à nous souvenir de la Réformation, soyons reconnaissants pour la quête qui a été celle de Martin Luther et de ses homologues ; c’est parce que les réponses toutes faites de leur temps ne leur convenaient pas qu’ils sont allés explorer des textes alors réservés à quelques privilégiés ; c’est dans cette recherche qu’ils ont redécouvert des trésors, et que portés par cette nouvelle redevenue bonne, ils ont eu le courage de proposer des manières alternatives de penser l’Église, la foi et le monde.
Soyons aussi reconnaissants pour le scribe, le spécialiste des Écritures de l’évangile de Marc, qui s’entretient avec Jésus. A la différence de toutes les séquences qui précèdent dans le chapitre, auxquelles il a assisté, cet homme n’a pas l’intention de tendre un piège à Jésus, alors que ce dernier est entré à Jérusalem, à quelques jours de la Passion. Alors que l’atmosphère est électrique, que les tensions montent, que l’hostilité devient de plus en plus visible, le scribe interroge Jésus sur une question qui semble sincèrement l’intéresser voire le préoccuper. Rappelons-nous, frères et sœurs, que le judaïsme est une religion de débat, du questionnement. Il y a cette conviction que puisque Dieu est tout-autre, qu’il ne peut pas être pleinement saisi par nos capacités humaines, il convient de partager ensemble sur ce que chacune et chacun perçoit de Dieu. Il y a cette intuition que c’est parce que nous ne pouvons pas vraiment savoir que nous allons être disponible à ce que l’autre peut avoir compris. Il y a cette idée que la vérité s’approche en juxtaposant de multiples interprétations des Écritures. Et donc, il y a deux mille ans comme quelques siècles avant et comme aujourd’hui encore, le scribe veut avancer vers Dieu en débattant sincèrement avec ce Jésus aux paroles étonnantes. Vous le savez aussi, la Loi de Moïse est composée d’une multitude de règles et du fait de nos limites humaines, il ne nous est pas possible de chercher à toutes les appliquer en permanence. Et donc, l’homme ou la femme qui perçoit que ces recommandations divines doivent nous aider à vivre, pleinement humains, sur cette Terre, l’homme ou la femme qui comprend que Dieu nous propose des repères, cet homme ou cette femme va avoir besoin d’identifier les commandements les plus importants.
Si nous connaissons bien de mémoire la réponse que Jésus apporte, quelques remarques ou rappels peuvent être utiles. Avant qu’il soit question d’aimer, il est question d’écouter. C’est d’ailleurs comme cela que commence la confession de foi du peuple hébreu, et des Juifs encore aujourd’hui, à partir de Deutéronome 6. « Écoute », justement, parce qu’ainsi tu es disponible, tu fais de la place à ce que tu ne sais pas. « Écoute », aussi, en hébreu, a la même racine qu’ « obéis » : être à l’écoute n’est pas une attitude passive mais une mise en mouvement.
« Le Seigneur notre Dieu est le seul Seigneur. » Bien sûr, le peuple hébreu est ainsi appelé à cultiver sa différence avec les autres peuples de son temps, polythéistes, habitués à vénérer des statues construites par des mains humaines. Nous pourrions penser que cette phrase est un acquis, nous qui nous comprenons comme monothéistes, ayant un seul Dieu. Mais dans nos vies, Dieu est-il vraiment toujours le seul Seigneur ? Notre réputation, notre influence, notre volonté de maîtrise ou de sécurité, notre bien-être matériel, notre santé, autant de préoccupations bien humaines qui prennent parfois l’ascendant sur notre amour pour Dieu…
Parlons d’amour, justement. Peut-on donner comme commandement d’aimer ? Si l’amour est compris comme un sentiment, une affection ressentie, évidemment, on ne peut pas commander d’aimer. Mais dans le Deutéronome et à la suite de ce que dit Jésus, l’amour n’est pas un sentiment. L’amour, c’est l’attention à l’autre, c’est agir concrètement pour que l’autre soit libre, qu’il grandisse, qu’il s’épanouisse. C’est veiller à la justice, c’est encourager, c’est faciliter. Aimer l’autre, c’est, s’il meurt de faim, partager notre pain avec lui, mais ensuite c’est lui donner les moyens de subvenir lui-même à ses besoins. Voilà qui nous renseigne déjà sur l’amour du prochain !
Mais il nous est demandé d’aimer Dieu. Dieu a-t-il besoin de nous pour s’épanouir ? Peut-être pas pour lui-même, mais peut-être a-t-il besoin que nous lui accordions quand même de la place dans nos vies, notamment en prenant le temps de prier, pour que sa place dans nos vies grandisse.
Quant au second commandement – Jésus montre aussi au spécialiste des Écritures qu’un commandement unique reste incomplet -, le second commandement est celui de l’amour du prochain. J’ai déjà expliqué qu’il consistait à agir pour que l’autre puisse déployer les potentiels qui sont en lui. Pour le dire autrement, ici, le contraire de l’amour n’est pas la haine mais plutôt l’indifférence ou la paresse (A. Nouis). Ce qu’il faut aussi souligner, c’est que celui qu’il faut aimer, c’est notre prochain. Non pas l’inconnu, au loin, que je ne vois pas, qui n’a pas d’influence directe sur mon quotidien. Mais celui qui est à côté de moi : mon conjoint, mon voisin, mon collègue au travail, le SDF au pied de mon immeuble… Oui, celle ou celui qui partage le même espace de vie que moi, celui, justement, avec qui il faut organiser une cohabitation, alors que nous n’avons pas forcément envie de coopérer… Le commandement d’amour est donc à la fois plus accessible et plus concret, et plus difficile car justement il ne s’agit pas d’un respect théorique mais bien d’adapter mes comportements quotidiens en plaçant le développement de l’autre comme la priorité.
Dans la discussion entre Jésus et le scribe, ce dernier comprend ce que dit Jésus, et il le montre en citant d’autres passages du Premier Testament dans lesquels Dieu exprime clairement qu’il préfère que nous prenions soin de notre prochain plutôt que de lui offrir des sacrifices coûteux ou spectaculaires. Et Jésus l’encourage alors : « Tu n’es pas loin du règne de Dieu. » Relevons qu’au début de l’évangile, la prédication de Jean et celle de Jésus consiste à dire que le royaume de Dieu approche ; ici, le spécialiste juif semble avoir lui-même fait une part du chemin. Dans les paraboles que Jésus raconte, le royaume de Dieu est très souvent un mouvement, une dynamique, plutôt qu’un lieu d’arrivée statique. Alors oui, cet homme est en route, et c’est justement parce qu’il est en marche que tous les possibles sont ouverts.
Frères et sœurs, inspirons-nous de ce dialogue pour nous-mêmes entrer en débat les uns avec les autres, pour nous mettre à l’écoute mutuellement de ce que nous pouvons percevoir de Dieu. Mais notre recherche n’est pas intellectuelle, ou pas seulement, elle progresse par les actes concrets que nous posons au quotidien pour permettre à notre prochain de vivre pleinement. C’est en cela que nous aimons Dieu, que nous aimons notre prochain. C’est aussi en cela que nous sentons que le royaume de Dieu est proche. Et ce royaume se révèle alors ouvert à toutes et tous. Amen.