Construire des églises sûres pour toutes et tous

Culte du dimanche 10 octobre 2021
Prédication par le pasteur David Veldhuizen

Texte biblique: Jacques 5,13-20




Chers amis,

Quand l’apôtre Paul écrit aux différentes communautés des chrétiens à Rome, des communautés qu’il n’a pas fondé lui-même, il n’ignore pas les débats qui agitent ces groupes, notamment parce que les questions que ces croyants se posent sont les mêmes que dans d’autres villes ou régions du monde méditerranéen. Dès les débuts du christianisme en effet, la diversité était présente. Toutes les communautés ne fonctionnaient pas de la même façon, elles avaient des choix puis des traditions liturgiques différentes, mais aussi des théologies avec des accents spécifiques et des nuances significatives entre elles.

A l’époque de Paul, l’un des principaux sujets de tension prenait sa racine dans les origines différentes des croyants. Certains étaient Juifs et avaient reconnu Jésus comme le Messie annoncé ; ils restaient donc Juifs, mais ils n’étaient pas certains de ce qu’ils devaient faire concernant leurs règles religieuses, notamment en matière d’alimentation, ce qu’on appelle la kashrout. Avec le Christ, ces prescriptions sont devenues secondaires. Pour certains chrétiens, cette situation ne posait aucun problème ; pour d’autres, peut-être moins assurés dans leur foi, la coexistence dans une même église de personnes respectant les règles de pureté et de personnes n’en tenant pas compte, cette coexistence constituait une épreuve redoutable. En effet, d’autres étaient de la religion de l’empire romain, des « païens » comme on dit dans la Bible, qui avaient entendu la Bonne Nouvelle et avaient décidé de suivre l’enseignement du Christ. Mais en confessant le Christ comme leur Seigneur, devaient-ils aussi se conformer aux règles juives, tant pour la circoncision que pour l’alimentation, ou d’autres règles encore ?

L’apôtre appelle ses interlocuteurs à être attentifs aux plus fragiles, afin de ne pas les troubler inutilement, afin de ne pas les décourager ou les éloigner du Christ. Il ne s’agit pas ici d’avoir raison, mais de prendre soin de son frère, de sa sœur dans la foi.

Aujourd’hui, les étiquettes confessionnelles (catholiques, protestants, orthodoxes) et dénominationnelles (entre les églises protestantes par exemple) ne manquent pas. C’est une cause de tristesse, non pas à cause de la diversité qui a toujours existé, mais plutôt à cause des barrières entre différentes églises. Il y a de la méfiance, parfois même de l’hostilité, bien loin des commandements d’amour, et ce décalage entre l’amour prêché et les divisions entre églises, nous le savons, cela constitue un contre-témoignage.

Pourtant, notamment à l’invitation des apôtres, nous croyons que nous formons toutes et tous l’Église de Dieu, la famille des enfants de Dieu. Et nous croyons aussi que quand l’un des membres de notre famille souffre, nous souffrons tous aussi. Cette semaine, la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église a rendu son rapport à la Conférence des évêques de France et à la Conférence des religieux et religieuses de France. Les médias ont relayé largement cet événement.

Nous-mêmes, en tant qu’êtres humains, nous avons probablement été bouleversés par l’ampleur des délits et des crimes qui ont pu être commis dans le cadre de l’Église. Combien de vies brisées ou gravement abîmées ? Dans sa lettre aux Romains, quelques versets plus haut que le passage que nous avons lu, Paul écrivait : « Réjouissez-vous avec les personnes qui sont dans la joie, pleurez avec celles qui pleurent. » (Romains 12,15) Oui, il y a un temps pour pleurer devant ces drames multiples.

Mais devant ce qui nous dégoûte profondément, devant le caractère insoutenable de ce qui a été dévoilé, peut-être avons-nous eu, comme un réflexe, un mouvement de soulagement : oui, c’est le problème de l’Église catholique, et pas le nôtre ! D’ailleurs, notre compréhension du ministère est différente, notre conception de l’autorité et du pouvoir s’appuient sur d’autres principes… Bref, nous voulons nous rassurer, cela, décidément, n’est pas notre problème. Objectivement, les situations de nos églises sont en effet distinctes. Et pourtant, il convient d’être vigilant. Oui, la protection des enfants et des plus faibles en général nous concerne tous. A nous de nous mobiliser pour nous approcher du risque zéro, à nous de nous mobiliser pour constituer des équipes pour prendre en charge les enfants, à nous de veiller à ce que les pasteurs, les catéchètes, mais aussi toutes les personnes qui remplissent des missions au nom de l’Église soient entourés et formés. Car même si les enfants et les jeunes se font rares dans nos communautés, ou même justement parce qu’ils sont peu nombreux, il nous appartient de tout faire pour que les églises soient des espaces sûrs et bienveillants.

Dans le texte que nous avons entendu, je relève trois phrases de Paul. « Cessons donc de nous juger les uns les autres. Jugez plutôt préférable de ne rien faire qui amène quelqu’un d’autre à se détourner de Dieu ou de la foi. (…) Le règne de Dieu n’est pas une affaire de nourriture et de boisson ; il consiste en la justice, la paix et la joie que donne l’Esprit saint. (…) Recherchons donc ce qui contribue à la paix et qui permet de nous entraider de manière constructive. » Aujourd’hui encore, gardons-nous de comparer nos églises. Il ne s’agit pas de savoir laquelle a raison, si tant est que cela soit possible. Il ne s’agit pas non plus de donner des leçons, car nos églises protestantes ne sont pas à l’abri des abus ou de dysfonctionnements graves. A la suite de Calvin, souvenons-nous que l’Église invisible, celle qui est connue de Dieu seul, qui n’a pas de frontières humaines, et dont nous espérons tous faire partie, que cette Église invisible n’est accessible qu’à travers les églises visibles, imparfaites, limitées, pécheresses.

Beaucoup le soulignent, l’important aujourd’hui est que nous écoutions activement, sincèrement, les victimes, qu’il s’agisse des abus sexuels ou d’autres situations problématiques dans nos communautés. Aidons ces personnes dans leur quête de justice et de paix. Tenons-nous aux côtés de celles et ceux qui veulent construire des églises qui témoignent vraiment de l’amour fraternel auquel Dieu nous invite. Et donc, prions aussi pour nos frères et sœurs blessés dans leur humanité, dans leurs relations humaines, dans leur chemin de foi. Car s’il ne nous appartient pas de transformer l’église voisine, notre prière est nécessaire. Pour les personnes extérieures en effet, nos différences d’étiquettes sont dérisoires face à cette tragédie. Nous avons besoin que nos frères et sœurs catholiques puissent être à nouveau des témoins audibles de leur espérance. Dans ses lettres aux chrétiens de Corinthe, Paul encourage les communautés à l’entraide les unes envers les autres. Il est le promoteur d’une collecte entre églises, car toutes appartiennent au même Christ.

Là aussi, ce passage de l’épître aux Romains nous rappelle quel doit être notre objectif : « Que grâce à la persévérance et au réconfort que l’Écriture nous apporte, nous possédions l’espérance. Que Dieu, la source de la persévérance et du réconfort, vous rende capables de vivre en bon accord les uns avec les autres en suivant l’exemple de Jésus Christ. Alors, tous ensemble et d’une seule voix, vous louerez Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ. »

C’est à la louange commune que nous sommes appelés. L’unité des chrétiens ne prendra probablement jamais la forme d’une seule église, d’une structure ecclésiale unique, mais la communauté des baptisés – faut-il nous souvenir qu’il n’existe qu’un seul baptême chrétien, au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, et non pas un baptême catholique d’un côté, un baptême protestant de l’autre, – oui, la construction et la communion d’une communauté des baptisés dépend de nos efforts, elle dépend de l’amour manifesté en tous temps, elle dépend de la solidarité concrétisée dans les moments de crises, elle dépend de la prière persévérante de toutes et tous pour que l’Esprit sanctifie, qu’il purifie l’Église du Christ.

Nous pouvons être assurés que le Christ est de ces humains brisés et détruits par les abus, quels qu’ils soient. Encore une fois, c’est auprès des victimes que nous devons nous tenir, ainsi qu’auprès de celles et ceux qui œuvrent pour que les églises soient des lieux où chacune et chacun soit vraiment en sécurité, dans la paix du règne de Dieu. Chrétiens et humains, soyons solidaires dans cette crise majeure. Suivons l’exemple du Christ, veillons aux plus fragiles, quels qu’ils soient, accueillons-les et protégeons-les. Viendra, plus tard, cela nous est promis, le jour où, tous ensemble et d’une seule voix, nous louerons Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ. Amen.

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