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Riches, pauvres… selon le monde et selon Dieu
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Culte du dimanche 5 septembre 2021
Prédication par le pasteur David Veldhuizen
Texte biblique: Jacques 2,1-7
Frères et sœurs,
Il y aura vingt ans dans quelques jours, nos yeux ne pouvaient pas se détacher de nos écrans de télévision : des avions percutaient le World Trade Center avant que les tours jumelles ne s’effondrent.
Il y a six ans et quelques jours, c’est la photographie d’Aylan que nous ne pouvions pas fuir. Rappelez-vous, il s’agissait d’un garçon syrien, âgé de trois ans, échoué noyé sur une plage turque alors qu’il fuyait l’enfer de son pays natal.
Il y a quelques jours, vingt ans après le 11-Septembre, ce sont les images de chaos et de détresse à Kaboul qui nous ont ému.
Dans ces trois cas, nous sommes bouleversés par quelque chose que nous voyons, certes à distance, mais ces tragédies ont pour point commun de concentrer l’horreur en une séquence visuelle. Parfois, une simple photo résume un traumatisme pour l’espèce humaine. Si la morale nous impose de ne jamais oublier ces symboles de la souffrance de nos frères et sœurs en humanité, en tant que chrétiens, il nous est aussi donné de ne pas nous laisser tétaniser par ces images. Il nous faut aller au-delà. Et dans les exemples syriens et afghans notamment, il nous faut être conscients de nos responsabilités. Oh, nous sommes bien peu de choses par rapport à ces événements et il n’est pas très pertinent de se demander ce que nous aurions pu faire concrètement pour éviter qu’ils ne surviennent. Mais en revanche, notre responsabilité envers les victimes ne peut pas être diluée. Accueillir celui ou celle qui fuit la guerre, ou même la misère, cela est possible. Il ne s’agit pas d’agir seuls, il ne s’agit pas de tout donner, mais de partager nos espaces plus paisibles et nos moyens de vie.
Dans un registre moins grave, la question de l’accueil est récurrente dans les communautés chrétiennes. Il y a quelques semaines, après deux cultes, nous avons débattu sur le thème de réflexion de nos prochains synodes. Il s’agissait, je vous le rappelle, de formuler à nouveaux frais la mission de notre Église, et de faire des propositions en matière de ministères pour mener cette mission. Lors de nos échanges, l’enjeu de l’accueil a été souligné. Certains témoignaient de personnes qui n’avaient pas été accueillies comme elles l’auraient souhaité alors qu’elles étaient nouvelles dans une communauté ; parfois, elles avaient été ignorées, et dans d’autres cas, trop d’empressement et de questions intrusives ont fait fuir celles et ceux qui voulaient prendre le temps avant de se dévoiler. Oui, la juste attitude peut être délicate à trouver !
Grâce à l’auteur de l’épître de Jacques, nous découvrons que cet enjeu n’est pas nouveau. Dans le début du chapitre 2 que nous avons entendu, le problème n’est pas un accueil insuffisant ou envahissant, mais un accueil différencié en fonction de l’apparence de la personne qui se présente. Il semblerait que davantage d’égards soient accordés à celui ou celle qui affiche des signes de réussite, ici de richesse, qu’à celui ou celle qui, au contraire, ressemble à un exclu, pauvre, mal vêtu.
Jacques pointe en fait deux attitudes qu’il convient d’éviter.
D’abord, de regarder aux apparences. Nous pouvons penser à ce que le Seigneur dit à Samuel, avant que celui-ci ne rencontre le successeur de Saül : « Je ne juge pas de la même manière que les êtres humains ; ceux-ci s’arrêtent aux apparences, mais moi je vois jusqu’au fond du cœur. » (1 Samuel 16,7). Nous pourrions aussi citer plusieurs adages exprimant des idées proches, notamment « les apparences sont trompeuses ».
Mais surtout, ce qui pose problème, c’est de traiter différemment le supposé riche et le supposé pauvre, comme si le premier valait mieux que le second, comme si les vies humaines, en fait, n’étaient pas égales en dignité.
Dans ses lettres, l’apôtre Paul souligne à plusieurs reprises qu’en Christ, toutes les créatures sont égales pour Dieu ; et donc, qu’entre enfants du même Père, qu’entre frères et sœurs du même Sauveur, qu’entre baptisés du même Esprit, il n’y a plus de différence de statuts, d’honneurs… Cette idée d’égale dignité était révolutionnaire à une époque où les femmes, les enfants, les esclaves, les personnes ne confessant pas une religion reconnue étaient considérées comme un peu moins humaines que d’autres. Oui, l’Évangile a bouleversé la façon dont les individus pouvaient se percevoir, eux-mêmes mais aussi les uns avec les autres. Pendant son ministère, Jésus est allé au-devant de femmes étrangères et donc non-juives, il a fait venir à lui les enfants… Toutes ces « catégories » moins considérées ont pu se percevoir différemment après avoir compris que Dieu les aimait autant que les hommes adultes et libres du peuple qu’il s’était choisi.
Le choc de la Bonne Nouvelle a poursuivi son chemin et on le retrouve ensuite dans des textes non-chrétiens qui sont aujourd’hui fondateurs pour nos sociétés. Je pense aux articles premiers de deux Déclarations. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 affirme : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. » En 1948, c’est la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 qui proclame : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »
Oui, aujourd’hui, ce principe appartient à l’humanité entière, alors même que l’ensemble du genre humain n’est pas chrétien. Bien sûr, ce principe demeure encore un idéal, trop souvent bafoué. Mais nous pourrions, en tant que chrétiens, nous donner pour combat de faire toujours davantage appliquer cette égalité. Et par rapport aux drames que j’évoquais, qu’il s’agisse du terrorisme, des guerres, de la misère économique, des catastrophes naturelles, nous sommes appelés par l’Évangile à réaffirmer que la solidarité, et notamment l’accueil des exilés, n’est pas une option, mais une évidence.
L’auteur de l’épître mettait donc ses correspondants en garde : vous prêtez trop d’importance aux apparences ; et surtout, vous vous permettez de juger de la dignité de votre prochain à partir de considérations superficielles. En effet, ce qui est pris en compte n’est qu’extérieur : richesse financière, pouvoir, influence, célébrité…
Jacques rappelle que Dieu a souvent fait un autre choix. Mais Dieu n’a pas donné de l’argent au pauvre, ou des forces surhumaines à celui qui était faible et dépendant, ou encore du pouvoir aux esclaves envers leurs maîtres. Non, Dieu choisit en effet les méprisés, les exclus, mais ce qui leur donne, c’est d’être « riches dans la foi », et de recevoir « le règne promis à ceux qui aiment Dieu ». A la phrase suivante, Jacques interpelle les croyants : « vous méprisez le pauvre » et il suggère que les croyants admirent les riches alors que ces mêmes riches les opprimeraient. Nous entendons ici pauvres et riches au sens économique. Mais un autre sens, complémentaire, est possible. Ne s’agit-il pas ici aussi d’être pauvres ou riches en foi, en esprit ? Relisons donc ces deux versets dans cette perspective spirituelle. « Mais vous, vous méprisez le pauvre en foi, celui qui pratique peu. Pourtant, ceux qui vous oppriment et qui vous traînent devant les tribunaux, ce sont bien les riches de la foi, n’est ce pas ? Ne font-ils pas insulte au beau nom qui vous a été donné ? ».
Avec une telle lecture, nous constatons en fait que Jacques prolonge son propos. Il ne s’agit pas seulement d’accueillir de façon semblable les riches et les pauvres, les forts et les faibles, les influents et les impuissants, mais d’accueillir de façon semblable le bon pratiquant et la personne peu engagée, celui qui participe aux cultes, aux activités d’église, aux finances aussi de sa paroisse, comme celui qui est de passage, hésitant. En poursuivant cette interprétation spirituelle, n’est-ce pas aussi une interpellation envers celles et ceux qui bénéficient d’une riche vie spirituelle ? N’est-ce pas une invitation à regarder sans condescendance ceux dont la foi est naissante ou vacillante ? N’est-ce pas une exhortation au partage, afin de ne pas être de ceux qui insultent le beau nom qui nous a été donné, celui d’être frères et sœurs en Christ ?
Chers amis, dans notre communauté comme dans beaucoup d’autres, nous sommes différents les uns des autres sous de nombreux aspects. Mais rendus égaux par et devant notre Seigneur, nous sommes appelés à manifester cette réalité dans notre monde, en commençant par changer nos regards entre nous et envers nos prochains. Souvenons-nous que notre foi serait bien pauvre si l’Esprit Saint ne venait pas l’enrichir ; ne perdons pas de vue le règne de Dieu qui nous est promis, car nous aimons le Seigneur. Sachons nous défaire de nos préjugés et de nos privilèges pour que vienne le règne que nous attendons, pour rendre aussi honneur à celui qui a fait de nous ses bien-aimés. Amen.